La technologie au collège

La technologie fait partie des enseignements obligatoires au collège ; elle remplace l’EMT (Education Manuelle et Technique) depuis 1985, matière qui remplaçait déjà les anciens « Travaux manuels » pour les parents qui se souviennent… Cette évolution permet d’entrevoir qu’un des objectifs de cette matière a toujours été de préparer les élèves au monde du travail et en particulier aux emplois liés à la production artisanale ou industrielle. On peut en fait y voir trois objectifs :
- Découvrir les méthodes de production intimement liées à l’espèce humaine, c’est l’objectif culturel.
- Savoir gérer nos besoins et utiliser les produits qui nous entourent dans la vie quotidienne, c’est l’objectif pratique.
- Envisager son avenir en approchant la réalité de nombreux métiers, c’est l’objectif d’aide au choix.

L’objectif culturel

La capacité de production est une des caractéristiques qui permet de différencier l’homme de l’animal, peut-être la principale : n’observe-t-on pas la présence d’outils près d’un squelette pour supposer que ce dernier appartient bien au genre humain ? De cette affirmation découle toute une partie de l’enseignement de la technologie qui consiste à rappeler que, contrairement à ce qu’imaginent les enfants à cause d’un emploi souvent trop restrictif du mot, la production - et donc la technologie - a toujours existé, depuis l’aube de l’humanité. Considérez ce petit exemple que je cite en sixième au tout début de mon enseignement pour illustrer les trois grandes étapes de production :
- Un hominidé a faim. Il aperçoit un animal qu’il pourrait manger, mais qui court trop vite pour ses pauvres jambes. C’est l’expression du besoin, que l’on appelle aujourd’hui « cahier des charges. »
- Contrairement à l’animal qui n’a d’autre solution que de changer de territoire de chasse pour survivre, notre hominidé va imaginer un produit capable de satisfaire son besoin. C’est la conception ; par exemple ici, il peut imaginer des objets de la catégorie des projectiles ou des objets de la catégorie des pièges… ou bien encore une technique de dressage pour exploiter les capacités d’un animal.
- Ensuite, il devra réaliser (rendre réel) le produit. C’est la fabrication, qui nécessite des matériaux appropriés faute de quoi il faudra retourner à la conception, voire même changer ou adapter ses besoins. Dans notre cas, l’hominidé trouvera peut-être des pierres qu’il pourra tailler, du bois… mais s’il habite une région polaire, il devra se contenter d’os, de dents ou de défenses d’animaux.
Depuis l’invention de la monnaie, ces trois étapes sont insérées dans un contexte économique qui génère deux étapes supplémentaires : l’étude de marché avant, et la vente dont elle découle, après. Comprenons bien le mécanisme : il est arrivé un moment où les hommes n’ont pas pu réaliser tous leurs produits eux-mêmes faute de temps ou de savoir-faire, ils ont donc pratiqué le troc. Ce mode d’échange a pu perdurer tant que tous les produits étaient nécessaires à toute la communauté, mais lorsque certains membres ont développé des besoins spécifiques, il a fallu inventer la monnaie qui n’est autre qu’un produit comparable au « jocker » des jeux de cartes, c’est à dire un produit échangeable contre n’importe quel autre produit. C’est le début de l’économie, il faut alors aussi être capable de créer des produits répondant aux besoins d’autres personnes, et de gérer l'inévitable concurrence. Mais la vente n'est plus la dernière étape depuis que l'homme s'est rendu compte qu'il polluait considérablement son habitat naturel - la terre - par l'accumulation de déchets de plus en plus persistants : il a donc fallu ajouter le recyclage comme ultime étape indispensable si l'on veut survivre à long terme… le développement durable fait partie des préoccupations du cours de technologie !

L’objectif pratique

On passera rapidement ici sur l’utilité dans la vie quotidienne de savoir rédiger un cahier des charges, de savoir lire un plan et un devis, d’avoir un minimum de connaissances permettant de contrôler la qualité d’une fabrication. Chacun aura un jour, en tant que particulier ou que décideur, à côtoyer le monde de la production et ses usages. Moins directement perceptible est l’utilité - vitale aujourd’hui - de savoir gérer ses besoins. On oublie trop souvent qu’avant toute création, il y a un réel besoin, même si ce besoin paraît futile comme « se distraire » par exemple, mais les entreprises de production ont toujours tendance à créer des besoins inutiles pour se développer. C’est une conséquence inéluctable de l’économie dont j’ai parlé plus haut. Pendant longtemps l’homme a su s’accommoder des besoins inutiles dans une espèce de fuite en avant : après tout on améliorait le confort et la qualité de la vie se disait-on. Maintenant on commence à s’apercevoir que de nombreux produits encombrent notre vie (au point parfois de nous aliéner) et surtout la terre… qui ne le supportera plus très longtemps : il nous faut penser aux générations futures et nous interroger sur ce que sont réellement le confort et la qualité de la vie. Le cours de technologie sensibilise ainsi les enfants au problème de la surproduction, à la gestion des matières premières et au commerce éthique alors que de nombreux besoins (bien réels ceux-ci) ne sont pas encore satisfaits, à commencer par la survie potentielle des espèces vivantes à moyen et long terme. On ne peut être un consommateur responsable que lorsque l’on sait utiliser les produits mis à sa disposition et qu’on en connaît les caractéristiques. On peut alors choisir en toute connaissance de cause un produit bien adapté à ses besoins, après avoir bien sûr inventorié ces derniers. Dans le domaine de ce qu’on appelle « les nouvelles technologies », il y aurait beaucoup à dire… et nous utilisons toujours un dérivé du pétrole - non-éternel - pour faire avancer notre voiture. Le moteur à explosion n’a presque pas évolué depuis son invention en 1860, mais la voiture est maintenant remplie de gadgets électroniques à tel point parfois qu’elle ne démarre pas (sans dysfonctionnement apparent), ou plus grave… qu’elle est irréparable ! On voit encore ici qu’il y a matière à occuper les heures de technologie.

L’objectif d’aide au choix

Les élèves me demandent parfois : « à quoi va me servir la technologie alors que je ne veux pas être ingénieur ni technicien ? » Outre qu’ils seront des citoyens (du monde) avertis par les deux précédents paragraphes, je leur réponds que la technologie leur sera très utile dans leur futur métier quel qu’il soit dans la mesure où la richesse n’est que le fruit de la production. Souvenons-nous toujours de la logique économique Produit/Argent/Produit et non pas Argent/Produit/Argent ! Seuls les produits génèrent la richesse, et n’oublions pas qu’un service est aussi un produit, on a vu plus haut le dressage d’un animal pour répondre à un besoin. Pour conclure, considérons simplement par exemple les métiers de la justice : comment pratiquer correctement ces métiers en ignorant les usages de la production, sources de nombreux litiges ? Un cahier des charges non signé, un plan non respecté sont autant de problèmes auxquels s’affrontent quotidiennement juges et avocats !

Jacques Becker
(Article paru dans le livre 2005 de Saint Jean de Passy)